« Charis Voyatzis fait partie de cette phalange de Grecs de l’École parisienne qui, tout en acceptant la leçon de la France, sauvegardent leur personnalité ethnique et esthétique. L’idée d’imiter la manière des coryphées de la peinture moderne ne vient pas à l’esprit de ce jeune Athénien qui expose pour la première fois un ensemble de toiles.
On se demandera peut-être en quoi Voyatzis est-il Grec. Il ne l’est pas par le choix de ses thèmes, bien qu’ils évoquent, dans la plupart des cas, les images de cet éden terrestre qu’est son pays natal. Ces paysages il ne les choisit pas parce qu’ils correspondent à ses aspirations et, notamment, à son idée du beau. Son atticisme est de la même essence que celui de Cézanne. Comme l’Aixois, étudiant la structure des sites rocheux de cette Hellade française qui s’appelle la Provence, il fuit l’instantané et va au fond des choses. Ses flamboyants tableaux de la nature ne sont pas des vues instantanées, dont l’objet principal est de capter un effet d’éclairage. Ce sont de singulières géométries sensibles et des architectures.
Mais Voyatzis ne se contente point d’organiser l’espace comme un perspecteur ou un peintre urbaniste. Parfois sa couleur fait éclater la forme et déborde ses limites. Ses rythmes de valeurs chromatiques violent la loi du cadre. Ses tons purs s’épanouissent librement. Ses volumes colorés sont des taches ou des plaques auxquelles il confère une densité plastique.
Voici donc un artiste hors-série qui illustre par des œuvres d’une qualité très pure la renaissance du génie égéen, frère du génie méditerranéen… »
Waldemar-George
Critique d’Art, novembre 1961
« L’œuvre de Voyatzis est-elle une reconquête du monde ? Le jeune artiste que nous présentons est un athénien de l’Ecole Parisienne. Il n’évoque ni Olympie, ni Delphes. Il représente la Grèce selon l’esprit. Ses paysages sont des architectures d’une ordonnance secrète. Les éléments n’en sont pas les volumes colorés dans la pâte et perceptibles par le sens du toucher. Ce sont des rythmes de tons cristallisés qu’irradie la lumière.
Voyatzis revendique l’héritage intégral de l’art européen, de Ruysdael à Cézanne. Mais il l’héllenise et semble l’adapter à ses propres exigences. Ses pathétiques tableaux de la nature sont des constructions d’une matière aérienne et des drames picturaux. Sa vision flamboyante n’exclut pas ce sentiment tragique qui fait défaut à ses contemporains. Voyatzis qui fuit l’art narratif, s’exprime par voie d’analogies. Ses ciels s’obscurcissent et couvrent de nuages ou se brisent comme le verre qui vole en mille éclats et qu’embrase l’astre solaire.
Ses calanques et ses criques d’un bleu céruléen sont fa ires pour abriter les travaux et les jeux des compagnes aux cheveux tissés d’or de Nausicaa, fille d’Alcinoüs. Les marbres qui jonchent ses plages sont-ils des fûts de colonnes mutilées ? Ses plans se muent, peu à peu, en images, sans perdre leurs caractères et leurs propriétés. Ils baignent dans une clarté inventée de toutes pièces. Notre planète apparaît à ce peintre qui défend les valeurs de peinture : poésie et mirage, sous l’aspect de couleurs qui engendrent l’harmonie.
Faîtes de la même substance que leur environnement, les grandes figures de Voyatzis peuvent être assimilées à des statues-colonnes. Ces solides à faces planes sont des formes qui transmettent des sensations de poids. D’autres figures se dissolvent dans l’espace aérien ou flottent dans l’atmosphère.
Une place particulière devra être réservée aux peintures à l’eau de Voyatzis. Ces aquarelles limpides, d’une qualité unique et d’une beauté réduite à son essence, seront elles situées au point d’intersection des lavis chinois et des pages de Maître d’Aix ? Ce sont des créations, dont les audaces surprennent. Voyatzis s’y impose comme un calligraphe, dont certains hiéroglyphes se résolvent en accords chromatiques raffinés.
Les aquarelles constituent, croyons-nous, le fer de lance des recherches d’un artiste en pleine possession de ses moyens plastiques. Elles témoignent aussi de sa ferveur, de sa curiosité et de sa vocation d’universalité. En effet, aux yeux de Voyatzis, l’héllenisme n’est pas une discipline ou un équivalent de l’anthropomorphisme. Sa liberté d’esprit en est la faculté maîtresse. »
Waldemar-George
Critique d’Art, novembre 1967
« Dans le cadre des expositions par la Pinacothèque Nationale d’œuvres de créateurs grecs qui ont développés leur activité artistique, tant en Grèce qu’à l’étranger, se place aussi la présentation de l’œuvre de Charis Voyatzis, un peintre situé à juste titre dans le champs du moderne.
Charis Voyatzis, qui a vécu et travaillé en France, s’est déjà distingué dès ses premières œuvres par la présentation poétique et lyrique des thèmes et par-dessus tout par la richesse et la qualité du coloris.
Passant brièvement par expressionnisme et plus tard par un essai de rendu plastique des sujets selon les enseignements de Cézanne, il avance avec une liberté et une audace inattendues qui témoignent de la maturité de son style et de sa technique.
Des scènes de la vie quotidienne et surtout des aperçus de diverses régions de Grèce montrent sa relation profonde avec la patrie, laquelle n’a jamais quitté ni sa pensée ni son cœur, quoiqu’il soit parti tôt pour se fixer à Paris.
Il y a de quoi être ému par le travail assidu et le soutien de son épouse qui avec amour et un dévouement réels nous a été d’une grande aide pour l’organisation et la présentation de cette exposition, pour laquelle ont travaillé Manos Stefanidis et Olga Mentzafou, conservateurs de la Pinacothèque Nationale et historiens de l’art.
Je les remercie tous chaleureusement. »
Dimitrios Papastamos
Directeur de la Pinacothèque Nationale, Athènes (GR)
CHARIS VOYATZIS ET SA RELATION AVEC LE PAYSAGE ABSTRAIT
Charis Voyatzis est le cas d’un peintre qui malgré ses importantes réalisations de formes plastiques, n’a pas encore gagné la place qu’il mérite dans l’histoire et la critique de l’art néo-hellénique. L’un des derniers élèves de Constantin Parthénis, il ne semble pas avoir été influencé de façon immédiate par le langage visuel de son maître, comme ce fut le cas pour d’autres. Il apparaitrait qu’il ait plus été touché par la personnalité et l’attitude de Parthénis sur les problèmes esthétiques généraux de l’époque, mais aussi par son insistance sur le contenu spirituel profond de la couleur plutôt que sur sa substance matérielle.
Voyatzis est un peintre qui a vite réussi à se créer un style personnel, qui était au courant des tendances picturales européennes des années 50 et 60 et qui a adoré l’acuité et la clarté de la lumière grecque, à tel point qu’il a posé comme objectif immuable de son art l’enregistrement et l’étude de cette lumière. Sur les sujets, l’œuvre de Voyatzis tourne autour de deux pôles : d’une part l’homme, soit seul soit en équipe (voir les œuvres « Les chanteurs » 1965, « le danseur » 1963, « Le Portefaix » 1966, etc…) et d’autre part l’espace, pas seulement comme restitution calligraphique de paysage mais surtout comme exaltation de sa poétique (voir les tableaux « Arbre dans le désert » 1969, « Ciel Bleu » 1968, « Brume sur la mer Egée » 1962, « Lumière des Cyclades » 1963 etc…)
Dans le 1er groupe d’œuvres, un caractère social est sous-jacent. Les types humains choisis par le peintre sont des « lumpen », des marginaux. Il les représente même éclairés de façon dramatique dans une profondeur non spécifiée et menaçante. Les figures sont compressées par un espace travaillé en couleurs froides et terreux (rouge épais et ombre) qui renvoient à Bouzianis. L’artiste travaille souvent à la spatule, on dirait qu’il bâtit les formes avec une clarté formelle de sorte qu’apparaissent distinctement ses intentions esthétiques aussi bien qu’idéologiques.
Voyatzis a débuté en tant qu’expressionniste. Des formes intensément distordues, des couleurs à l’éclat fiévreux et un frémissement violent constituèrent son premier vocabulaire plastique. Un exemple caractéristique est donné par l’œuvre « Manifestation » de 1946 qui appartient à la collection de Marietta Voyatzis. Le tableau est un essai d’étude du peintre et rend avec relief le climat de la guerre civile après l’occupation. Une masse humaine soudée par la résolution commune se dresse en rang sur l’axe horizontal du tableau. L’œuvre est travaillé à la pâte et ne se distingue par aucune enjolivure. Par la suite Voyatzis s’exerce à l’enseignement de Cézanne et à l’optique du cubisme. Il travaille avec des teintes et des couleurs diluées en essayant de donner à la surface peinte le sérieux de l’expression sculpturale. Déjà dès 1954 quand il part pour Paris son style personnel commence à se former. Il semble que les graphismes de Riopelle (né en 1904) et de Staël (1914-1955) l’influencent immédiatement. Il utilise de grandes couches épaisses construisant ses compostions avec une conception proprement tectonique. Soulages (né en 1919) également, avec ses œuvres des débuts 60, constitue clairement un autre point de référence. L’école de Paris avec Manessier et Bazaine comme représentants essentiels exprime une version d’expressionnisme abstrait plus équilibré et plus classique que les recherches analogues de l’école de New-York. Voyatzis pénètre dans ce climat, armé de sa sensibilité méditerranéenne et du sens grec de la mesure.
A partir de 1967-1968 ses progrès paysagistes abondent. Il apparait que le sujet-alibi concret l’attire parce qu’il lui procure d’infinies possibilités pour des inductions abstraites et des schématisations. Le peintre, soit en enregistrant la fugitive sensation poétique de la campagne française, soit en insistant sur la lumière aigüe de la mer Egée et les volumes limpides de ses îles, cherche principalement à exprimer la dimension lyrique de l’espace et à montrer l’harmonie cachée des éléments naturels ; et c’est vraiment remarquable que cet expressionnisme abstrait de Voyatzis n’a aucun élément édulcorant ou pathétique mais il est imprégné de santé virile et de rugosité (?). Les couleurs choisies sont les gammes profondes des gris, les bleus et les terres, teintes qu’il harmonise à travers un avant montage de juxtapositions froides et chaudes. Les mers de Voyatzis sont des réservoirs de spiritualité exactement comme Parthénis cherchait à les rendre. Ce dernier, avec Bouzianis et le franco-russe Staël, semblent avoir été les maîtres auxquels l’artiste se réfère et dont l’œuvre le pousse à la création.
Pendant la décennie 70 les représentations nostalgiques du paysage grec se multiplient : « Mani », « Naxos », « Paros », « Malvoisie », « Patmos ». Dans cette dernière œuvre de 1980 l’élément soustractif domine. De l’image physique sont uniquement extraites ses caractéristiques structurelles exprimées par des formes horizontales orthogonales. Le paysage semble voyager dans la brume blanche du matin égéen. Le noyau de la composition est une forme chaude créée en vermillon qui a été placée à l’intersection de l’angle droit sur l’axe vertical. Au-dessus, exactement à la marque du nombre d’or, le tableau semble s’enflammer par les reflets chauds de la source chromatique rouge.
La pensée de Staël est présente dans cet instant particulièrement expressif de Charis Voyatzis. Instant, pendant lequel les éléments thématiques et athématiques se neutralisent et finalement s’équilibrent. L’articulation dense de la couleur n’empêche pas l’artiste d’intervenir avec des touches extraordinairement transparentes pour rendre l’atmosphère des paysages humides.
Voyatzis fut aussi un dessinateur exceptionnel et un aquarelliste sensible. Dans ses dessins se concentre sa pensée expressive et la façon par laquelle il choisissait l’essentiel dans l’image physique pour le convertir en fait plastique. Ses aquarelles de la période 65-70 se caractérisent par un sens de l’ensemble et rapidité d’exécution, des paysages tendres et une architecture robuste.
Les paysages abstraits de 78 à 80 complètent, je crois, d’une manière entièrement convaincante les recherches artistiques et les formulations visuelles de Charis Voyatzis. Sa technique, déjà mûre, réussit à montrer comment la lumière a la propriété de capturer ou de libérer le mouvement de la forme peinte. Le créateur a réussi dans les 30 ans de sa création artistique à combiner l’individuel au collectif et la dialectique de l’espace grec aux tendances internationales ; et ceci est très important.
Malheureusement Charis Voyatzis n’a pas eu la chance d’une analyse approfondie de son œuvre ni l’occasion de savourer des critiques pertinentes et pénétrantes. C’est pourquoi je trouve l’initiative de la Pinacothèque Nationale, de montrer l’œuvre de cet important peintre connu-inconnu de la génération 60, excellente.
Un des rares textes pertinents qui subsistent dans la bibliographie, est celui que Tonis Spitéris lui a consacré dans son œuvre en 3 volumes « Trois siècles d’art néo-hellénique 1666-1967 » que je cite textuellement :
« Charis Voyatzis (1924) vit de façon permanente à Paris depuis 1954. Il était donc naturel qu’il subisse pendant un certain temps l’influence de courants abstraits, sans pourtant jamais s’éloigner complètement de la nature. En accord avec le climat d’alors jusqu’en 1964 environ, il traite ses sujets (principalement des paysages) avec des touches larges à pâtes épaisses. Un monde plein de mouvement, où la lumière ne dissout pas les volumes mais les construit.
De la même manière, il représente ultérieurement des individus ou des compositions à personnages multiples. Toutefois les paysages demeurent ses thèmes préférés. C’est à eux qu’il revient en dernier avec une conception plus réaliste et plus lyrique. C’est ainsi que des étendues immenses de ciel ou de mer baignent dans une lumière irréelle et portent la marque d’une nostalgie intense. »
Je ne puis, pour terminer, que me souvenir de quelques pensées de Nico Caruso qui dit :
« J’apprécie le succès dans la peinture abstraite ainsi que dans tout ce qui s’y oppose. En vérité il ne faut pas refaire la rose mais bien la transformer sans la perdre, tout en sauvegardant son « idée » au sens platonique ». C’est exactement, je crois, ce que fait Charis Voyatzis.
Manos Stefanidis
Conservateur de la Pinacothèque Nationale, Athènes (GR)